Selon les documents historiques, les Chinois avaient déjà développé un art formel de disposer des fleurs en bouquet dès le Ve siècle après J.-C. La plus ancienne preuve de cette forme d'art est la statue de Kouan-yin (l'avatar féminin du bodhisattva Avalokiteçvara) tenant en ses mains un vase où sont disposées avec goût des fleurs de lotus. Cette œuvre datant des Six Dynasties (220-589) et baptisée Offrande au vase selon les fidèles constitue assurément le premier élément de l'art de l'arrangement floral classique chinois qui a évolué jusqu'à nos jours.
Aujourd'hui dans toute l'île, il est courant de découvrir dans les logis, meublés dans un style moderne ou dans d'autres plus traditionnels, un coin réservé où est disposé l'autel sacré des ancêtres de la famille. Là, se tiennent les dieux des pénates, des encensoirs aux bâtonnets incandescents et un vase rempli de chrysanthèmes ou d'autres fleurs évocateurs de l'ancienne Offrande au vase.
Sous la dynastie de T'ang (618-907), l'« arrangement floral » fut adopté par la maison impériale comme une forme essentielle de la décoration intérieure. Le style avait du corps (pour être surtout la formule préférée des femmes du temps) et était parvenu à un aspect multidimensionnel caractéristique en disposant les fleurs dans un large espace. Les combinaisons les plus courantes comprenaient la pivoine, le camélia, le narcisse, la fleur de prunier, les branches de pin et de cyprès.
Les récipients qui étaient bien sûr des objets d'art magnifiques formaient une composante d'égale importance de l'arrangement floral. Les grands mandarins et les nobles eurent beaucoup de fierté à posséder des récipients d'une esthétique exceptionnelle et prenaient un soin minutieux à choisir les fleurs qui y seraient disposées. Cette forme d'art atteignit une telle popularité que finalement une journée spéciale fut décidée dans l'année comme l'« anniversaire des fleurs » et fixée le 15 du IIe Mois lunaire. L'autre, lors de la fête de (le 15 du VIIIe Mois), est certainement devenue la fête la plus populaire de l'année.
L'arrangement floral a atteint l'apogée de sa popularité sous la dynastie de Song (960-1279), car, à cette époque, cet art n'était plus le privilège des hautes sphères de la société. Le public avait à son tour adopté cette forme d'art. Finalement, il était devenu l'un des quatre arts fondamentaux, brûler l'encens, servir le thé, apprécier la peinture et disposer les fleurs, que toute personne cultivée se devait apprendre et pratiquer dès l'enfance. Sous les Song, on tenait de grandes floralies à chaque printemps dans les grands bourgs. Et selon divers documents historiques, l'une d'elles tenue à Loyang, dans la province du Honan, en 1086 fut particulièrement spectaculaire. On y avait présenté plus de dix millions de fleurs.
Fleurs d’été agrémentant un plan d’eau intérieur.
Sous la dynastie Ming (1368-1644), l'arrangement floral passa complètement aux mains de professionnels qui le codifièrent dans de nombreux textes et manuels et de professeurs attitrés qui l'enseignèrent. Les élèves-artistes de l'arrangement floral sont aujourd'hui familiers des principaux ouvrages Ming sur le sujet, tels les classiques, l'Histoire du vase ou Ping Che [瓶史] de Yuan Hong-tao [袁宏道], le Catalogue des fleurs pour vase ou Ping Houa Pou [瓶花譜] de Tchang Kien-te [張謙德] et mensuelle des fleurs ou Ping Che Yué Piao [瓶史月表] de Tou Pen-tsiun [屠本畯].
Il est assez intéressant de noter que cet art s'est donc peu à peu règlementé mais en même temps altéré, étant supplanté par une tendance croissante pour les plantes vivantes en pot vers la fin des Ming (début du XVIIe siècle). Et ce mouvement se poursuivit sous la dynastie mandchoue Ts'ing (1644-1911). Une raison de ce changement semble être le sentiment que les plantes vivantes en pot étaient « plus humaines » que les fleurs coupées, donc mortes, disposées en bouquet.
A cette époque, la perception de l'arrangement floral traditionnel se modifia. Il convient d'ajouter que les nombreux revers et désastres politiques et militaires de la fin des Ts'ing eurent pour effet de reléguer cet art à un rang tout mineur qui finalement déclina jusqu'à près de s'éteindre. Entre temps, au Japon, les passionnés des fleurs l'avaient vite adopté et lui avaient développé de magnifiques techniques quoique toutes inspirées des nombreux styles chinois. Dans le premier quart du XXe siècle, l'arrangement floral japonais, tant au niveau individuel que collectif, avait nettement surpassé les premiers styles chinois.
Mais l'esprit de l'arrangement floral n'était pas éteint pour autant en Chine, il était seulement en hibernation. En 1984, un réveil est apparu en République de Chine grâce aux efforts tenaces du Club féminin d'art et des jardins (CFAJ/WGAC). Les membres du club avaient décidé de redonner souffle et élan à cet art qui avait presque disparu et de lui apporter un sens nouveau dans le contexte du mode de vie des Taiwanais du XXe siècle. Comme premiers efforts, elles organisèrent une exposition à l'imitation du temps passé sur un thème simple, l'art de l'arrangement floral classique chinois. Cela eut lieu du 24 mars au 3 avril 1984 au Musée national d'Histoire de Taipei, et la réponse que le public lui a massivement donnée fut extraordinairement positive.
Cette exposition, une activité culturelle de plus du club, ne fit qu'accroître l'excellente réputation de cette institution fondée en 1972. Ses membres ont ainsi témoigné de leur amour et de leur attachement profond au patrimoine culturel de leur pays par des parrainages précédents à des arts chinois similaires, tels que le jardinage, le macramé, le découpage de papier, la calligraphie et la peinture.
L'attention portée à l'arrangement floral chinois germa assez tôt dans les esprits. C'est en 1983 que la présidente du club féminin, Mme Yu Tung Mei-chen, épouse du Premier ministre, Yu Kuo-hwa, contacta M. Ho Hao-tien [何浩天] (lire Hre Hrao-tienn), alors conservateur du Musée national d'Histoire de Taipei, pour discuter de la renaissance de l'arrangement floral traditionnel chinois. Ce dernier agréa parfaitement que, dans le monde contemporain, cet art ne devait pas s'oublier ni se perdre. Puis, elle s'entretint avec le professeur Huang Yung-chuan [黃永川] (lire Hrouang Yong-tchouann), membre du centre de recherche de ce musée et historiographe de l'arrangement floral chinois. Et peu après, un premier projet d'exposition était à l'étude.
L'exposition ne fut pas une banale affaire. Elle comprenait une sélection de plus de 50 compositions, toutes réalisées dans la reproduction exacte de bouquets selon d'anciens textes, peintures ou albums illustrés toujours disponibles. Derrière chaque composition florale exposée, était déployée le document authentique ou la reproduction d'une œuvre florale chinoise particulière et traditionnelle.
Le professeur Huang Yung-chuan explique que les formes traditionnelles de compositions florales se divisent en plusieurs catégories : « Une liste des styles de l’arrangement floral les plus populaires doit absolument inclure les styles intellectuel néo-intellectuel, expressionniste et réaliste, ainsi que le style aux bons augures d'après l'homophonie des noms de fleurs. »
Un bouquet de fête aux couleurs vives dans un panier à gauche anse.
Le style intellectuel est une œuvre d'une conception esthétique qui s'est développée sous l'influence du courant rationaliste des Song. Cette esthétique met l'accent sur le raisonnable, généralement traduit dans la disposition en bouquet avec le pin, le cèdre, le bambou, la fleur de prunier, l'orchidée, l'osmanthe, le camélia et le narcisse.
Le style néo-intellectuel fut populaire pendant la renaissance de l'arrangement floral sous la dynastie Ming. Dans une telle combinaison, les fleurs sont plus chatoyantes et disposées en plus grand nombre.
Sous la dynastie mongole Yuan (1271-1368) et encore au début de la dynastie mandchoue Ts'ing (fin du XVIIe siècle), le style expressionniste acquit une grande popularité. La composition florale y procure une « sensation » de sévère rigueur. Les hommes de lettres et les artistes ont tenté de traduire leurs émotions et idées personnelles les plus profondes à travers les fleurs. Ces sentiments sont communiqués aux plantes et aux fleurs choisies pour leur caractère élevé et noble selon l’esthétique traditionnelle et relevées avec du bois sec, du ling-tche [靈芝], un champignon ganoderme, et des plumes de paon.
Ceux qui préférèrent le style réaliste avaient une vision différente. Ils s’évertuèrent plutôt à reproduire avec fidélité la nature telle qu’elle se présentait à eux. Grâce à une création ingénieuse de plante en pot, les esthètes dépeignirent des scènes aussi variées que des haies de bambou dans les campagnes ou de grands panoramas aux chutes d’eau tombant de majestueuses montagnes. Né sous les T’ang, ce style atteignit son apogée sous la dynastie mandchoue Ts'ing.
L'autre style de l'arrangement floral était basé sur le langage des plantes : les fleurs et les fruits dont la prononciation du nom sonnait comme des mots et des expressions de bon augure et émis lors de festivités ou de réjouissances étaient disposés de manière évocatrice, offrant ainsi une dimension complémentaire au plaisir visuel. La combinaison de fleurs homophones fit l'objet d'un vaste courant artistique de l'arrangement floral sous les Mandchous Ts'ing avec des branches de cyprès, du lierre, de la fleur de lotus et du lis, fort populaires pour leur prononciation semblables à des termes chinois de bon augure et également pour leur propre beauté naturelle.
L'exposition de 1984 posa des difficultés extrêmes au club féminin. Quelques-unes des fleurs de peintures classiques sélectionnées pour faire partie de l'exposition ne se trouvaient pas à Taiwan ou étaient hors de saison. Et les récipients de style n'étaient guère disponibles sur le marché. Mais le club surmonta ces défis, et des artisans chinois de grand talent purent reproduire avec exactitude les fleurs (en façonnant main des fleurs de soie), ainsi que les récipients figurant sur les pièces historiques qu'on ne pouvait acquérir localement.
Un service tout spécial fut offert par le Centre artisanal de Chine de Nantou, dans le centre de l'île, et plusieurs ateliers de procelaine de Taipei. Le Musée national d'Histoire et des collectionneurs privés consentirent également à prêter des récipients antiques pour l'exposition. Avec même toute cette aide généreuse, la préparation de tout le mobilier et accessoires nécessaires et les diverses décorations intérieure exigèrent des membres du club un immense travail.
Glaïeuls accompagnés de fines ombellifères et d'une poignée de feuilles.
Tous leurs efforts furent heureusement couronnées de succès. Les visiteurs nombreux furent souvent impressionnés de pouvoir contempler des formes anciennes et familières sous une lumière nouvelle et fonctionnelle. Pour la première fois, ils étaient le témoin de techniques ou de contenants utilisés identiquement aux temps anciens. Le professeur Huang Yung-chuan manifesta particulièrement sa joie devant cet aspect de l'exposition : « Ces reliques sont à l'origine des récipients à fleurs. Quand ils sont à leur juste destination, ils semblent reprendre vie. »
Comme l'exposition a obtenu tant de succès, le musée d'histoire et le club féminin ont décidé de répéter l'événement chaque année. Après une année de vacance nécessaire à l'organisation et aux statuts des prochaines manifestations, la deuxième exposition Arrangement floral de saison s'est tenue en 1986.
Par tradition [et pour les besoins de l'agriculture], les Chinois avait divisé l'année en 24 périodes solaires d'égale durée (environ 15,2 jours) [équivalentes et correspondantes aux demi-signes du zodiaque européen].*
« Les anciens Chinois offraient des compositions florales spéciales à chaque période, dit M. Huang Yung-chuan. Par exemple, celle qui tombe le 7 novembre du calendrier grégorien est le Li-tong [立冬] ou Commencement de l'hiver. Comme les plantes s'arrêtent de croître ou de fleurir pendant l'hiver, à part quelques-unes, comme l'érable, le camélia ou la marguerite, la composition florale de cette période est habituellement constituée de fruits différents : la tangérine, la carambole, la bergamote et le cumquat (orange naine). »
Orchidées du Japon aux frêles branches de prunier fleuries dans un admirable vase aux évolutions d'un dragon.
Si une attention beaucoup moindre est accordée au calendrier traditionnel, les Chinois en conservent toujours des usages pour l'arrangement floral lors de fêtes et des changements de saison, comme le Tsing-ming Tsié [清明節] ou la fête du Nettoyage des tombes (5 avril), le Touan-wou Tsié [端午節] ou la fête des Bateaux-Dragons (5 du Ve Mois) et le Tong-tche Tsié [冬至節] ou le solstice d'hiver (21 décembre).
A celles-ci, se sont ajoutées les fêtes modernes où les compositions florales ont aussi leur importance particulière. Ainsi, lors de la fête des Mères (deuxième dimanche de mai), à l'œillet, l'iris ou l'orchidée plus populaires aujourd'hui en Occident, les Chinois préféreront l'hémérocalle ou lis jaune.
De nos jours, l'arrangement floral suit toujours une forme ou une combinaison de formes que la tradition enseigne. A part les produits de saison, les floralistes agréent normalement trois principes. Le premier, le nom de la fleur est euphoniquement très important. Par exemple, la pivoine, symbole de la richesse et de l'honneur, ou le narcisse, symbole de la longévité, sont considérées comme de bons choix, car leur nom assure une connotation de bon augure. Quant à la photinie, une rosacée, ou chenan [石楠], qui a une prononciation proche d'un événement fatal ou tragique est certainement inconvenant.
Le deuxième, les attributs ou les caractéristiques particulières des fleurs composées sont toutes remarquées. Ainsi, les branches de cyprès ou de pin qui restent toujours vertes sont un choix privilégié. En revanche, la glycine, le lierre et d'autres plantes grimpantes — à cause de leur nature à la torsion, la courbure et l'enchevêtrement —, ainsi que les fleurs et plantes sauvages, notées pour leur éphémérité sont taboues.
Le troisième, les mythes et légendes associés ont aussi leur influence sur le choix des fleurs. Le daphné parfumé ou joueï-hiang [瑞香] tient son nom chinois d'un moine qui, lors d'un songe, le respira le premier; il a la réputation de grande noblesse. Au contraire, le coquelicot rouge ou fleur de [虞美人花, yu-meï-jen houa) que la légende soutient comme la réincarnation de la maîtresse au si triste destin de Hiang Yu [項羽], prince de Tch'ou et vaincu par son rival Lieou Bang devenu empereur céleste, est regardée comme une fleur de malchance.
Les Chinois ont toujours apporté beaucoup de soin à la sélection des fleurs qu'ils destinaient avec justesse à des compositions florales. Dans son Histoire du Vase, Yuan Hung-tao enseigne qu'« un floraliste ne choisit pas plus indistinctement une fleur pour une composition qu'il n'invite chez lui un étranger inconnu qu'il vient de rencontrer au marché. » L’attention pour le détail a pénétré tous les couches de la société actuelle. Et l'arrangement floral a une fois de plus reçu une large audience, grâce aux efforts intenses du Club féminin d'art et des jardins. Sa deuxième exposition a été ressentie comme une vulgarisation de l'art des fleurs chinois, d'autant plus que son but était de transporter cet art dans la vie de tous les jours des Taiwanais. Avec l'accroissement général de la richesse de la société et grâce aux fonds disponibles supplémentaires, les achats de fleurs sont devenus plus courants et ont certainement contribué à la popularité de l'arrangement floral. En fait, après ces deux expositions, l'arrangement floral traditionnel chinois a rassemblé assez de partisans pour pouvoir créer de l'art floral de Chine. (FAFC/CCFAF).
Les élèves de la première classe du professeur Huang Yung-chuan.
Mme Hsu Hsiu-ping, membre de cette fondation, rappelle pourquoi elle y a adhéré : « Il y a trois ans je suis venue écouter le professeur Huang Yung-chuan, historiographe de l'art traditionnel des fleurs, pour approfondir mes connaissances sur le sujet. Comme la plupart de mes camarades, nous étudions ou enseignions l'arrangement floral japonais depuis plus de dix ans. Mais nous nous sentions confinées dans les limites d'une école à laquelle nous croyons appartenir, aussi nous éprouvions un fort sentiment de trouver une ouverture. Nous voulions un style différent. »
Le Japon a en fait plus de 3 000 écoles d'arrangement floral, l'aboutissement d'une évolution rapide bicentenaire. Cet art est devenu si raffiné que de nouvelles écoles toutes rivales se créaient les unes après les autres, et souvent la compétition les poussaient à l'extrême. De plus, une tendance se fit jour chez les artistes dans la recherche du détail, les différences vulgaires et minutieuses délaissant quelque peu l'évolution générale de l'art entier. Par contre, l'arrangement floral chinois offre un contraste aigu. de Chine n'a pas un si grand nombre d'écoles, et l'arrangement floral a un style plus libre.
Un coin sélénique : chrysanthèmes sous une fenêtre lunaire.
Le professeur Huang Yung-chuan, qui est aussi président de de l'art floral de Chine, est fier des élèves de sa première classe. « C'est touchant comme elles désirent mettre de côté l'Ikenobo, le Misho, le Saga et les autres écoles auxquelles elles appartenaient et qu'elles apprennent l'arrangement floral chinois depuis les débuts élémentaires », dit-il. Toutes les élèves de la première classe du professeur Huang Yung-chuan sont devenues à leur tour des professeurs, et déjà la fondation possède maintenant 1 360 adhérentes. L'an dernier, elle a aidé le Club féminin d'art et des jardins et le Musée national d'Histoire de Taipei, co-organisateurs de l'exposition annuelle d'arrangement floral. en 1987 introduisant les deux méthodes courantes de présenter les fleurs était L'arrangement floral : décoration intérieure et accompagnement pour boire le thé.
« Les deux ont un style totalement différent, explique M. Huang Yung-chuan. Le premier montre la richesse et l'honneur d'une famille, de sorte qu'il insiste sur la création d'une atmosphère splendide et élégante. Les compositions sont de couleurs variées et de grandes tailles. Le second agrémente le plaisir de la dégustation du thé. Pour intensifier l'atmosphère calme d'une maison de thé, ces compositions florales sont délicates avec des couleurs plus douces et de petite taille. »
Tranquillité et sérenité que de leur cœur inspirent les orchidées.
M. Huang Yung-chuan préfère nettement le deuxième. « Boire du thé en appréciant l'arrangement floral peut rendre poétique une personne la plus ordinaire, dit-il. Et il vaut mieux ne pas avoir trop de gens autour de soi, car ce n'est plus la même chose. Si l'on a thé et fleurs à côté de soi, on peut parler à ces dernières. S'il y a deux ou trois personnes, elles peuvent justement échanger des idées sur l'arrangement floral, mais trois sont un maximum pour de vrais admirateurs. Trop de personnes feraient peur aux fleurs et détruiraient tout l'intérêt. Le mieux est d'être tout seul pour mieux savourer le thé et apprécier les fleurs. »
Si tout le monde ne peut avoir le goût délicat pour l'esthétique floral de M. Huang Yung-chuan, on peut tout de même partager un plaisir sensuel. A Taiwan, les gens sont certainement devenus plus conscients des fleurs, comme l'atteste le nombre croissant de fleuristes et des marchés aux fleurs. Le plaisir vrai de la beauté florale est une expérience moderne peu différente de l'ancien temps. La seule différence se situe en termes de sophistication, et les expositions florales annuelles ont beaucoup aidé le public taiwanais à mieux comprendre et apprécier cette forme d'art.
Ainsi, l'exposition de l'an dernier a aussi attiré l'attention internationale, dont celle de M. Rand Castile, directeur du Musée d'art asiatique de San Francisco (Californie). En effet, alors à Taiwan, il fut profondément impressionné par l'exposition. Il invita les organisateurs — le Club féminin d'art et des jardins, le Musée national d'Histoire et de l'art floral de Chine — à donner une exposition dans son musée. Il semait dans un champ fertile, et les négociations commencèrent aussitôt pour en fixer les détails.
Entre temps, la quatrième exposition, intitulée Les six grands récipients de l'arrangement floral chinois, s'ouvrait à Taipei en mars de cette année. Elle présentait justement les soins méticuleux que la tradition apportait à la sélection des contenants dans l'arrangement floral chinois.
Un arrangement harmonieux des lignes et des couleurs.
Selon la conception chinoise, il y a six grandes catégories de récipients dans l'arrangement floral intérieur : le vase, l'assiette, la cuvette, le bol, le tube et le panier. Le vase est assurément le contenant originel pour disposer des bouquets de fleurs en Chine. Les autres lui ont été peu à peu ajoutés au cours des âges. Mais après la dynastie mongole Yuan, le vase redevint le récipient unanimement préféré des floralistes.
L'usage de l'assiette dans l'arrangement floral a des origines presque aussi anciennes. Des dévots désirant offrir un lotus en plein épanouissement flottant le disposèrent dans une assiette large pour le placer sur les autels. A cause de sa faible profondeur, l'assiette a d'abord présenté quelques difficultés; les bouquets n'étaient pas faciles à tenir sur sa large surface. Mais sous les Cinq Dynasties (907-960), un floraliste ingénieux assembla sur une plaque de bronze de petits tubes dans lesquels on plaçait aisément les tiges droites et élancées pour une composition florale. Les siècles suivants, ce premier modèle fut perfectionné en porcelaine, bois et autre métal et même adapté aux autres catégories de récipient.
La cuvette, avec son ouverture large et sa plus grande profondeur, convient particulièrement aux fleurs plus larges et plus lourdes, telles que la pivoine ou l'hortensia. Le bol, par contre, n'est en fait qu'une variante quelque peu plus profonde de l'assiette. Le bol reçut une faveur spéciale sous la dynastie de Song (960-1279), et le Musée national du Palais à Taipei en conserve quelques-uns de remarquable beauté dans ses collections. Les nuances dans le bleu et le vert et les courbes gracieuses de ces bols illustrent le lien esthétique traditionnel entre les fleurs et leur contenant.
La plupart des tubes d'arrangement floral sont en bambou. Ils demeurent le récipient le plus facile à trouver puisqu'il suffit de le tailler dans une section de bambou creux. L'aspect est plus naturel que ne l'évoque le panier. Sous la dynastie de Tang (618-907), on utilisait souvent des paniers spéciaux pour le transport de fleurs aux fêtes religieuses, et la tradition l'a répandu à d'autres occasions et dans différents milieux.
Selon les recherches de M. Huang Yung-chuan, les premiers récipients à fleurs étaient en bronze et en terre. Comme on croyait que le bronze absorbait la « force de la terre » dont il provenait, il était particulièrement approprié pour les fleurs. On considéra plus tard de la même manière favorable la porcelaine et la céramique.
Ce sont à la fois les compositions florales et leurs contenants qui ont initialement inspiré le projet d'une exposition à San Francisco. Le Musée d'art asiatique de San Francisco et le Musée national d'Histoire de Taipei ont donc décidé de sélectionner des compositions des quatre premières expositions pour faire ce voyage transpacifique. Après une semaine à San Francisco, à partir du 28 mai de cette année, l'exposition fut appréciée par les visiteurs du Sackler Museum à l'Institution smithsonienne à Washington les 11 et 12 juin, puis à l'Académie des Arts de Honolulu (Hawaï) du 18 au 20 juillet dernier.
Une délégation de 14 membres, comprenant M. Chen Kuei-miao [陳葵淼], nouveau directeur du Musée national d'Histoire, le professeur Huang Yung-chuan et des membres de de l'art floral de Chine, a fait cette tournée aux Etats-Unis pour préparer et présenter ces expositions et donner plusieurs conférences avec démonstration sur l'arrangement floral chinois en d'autres villes américaines.
Les expositions florales tenues en République de Chine depuis ces cinq dernières années ont donné une vive impulsion à la renaissance d'une forme d'art classique hautement estimée. Les organisateurs ont maintenant le vif désir de présenter au monde l'arrangement floral chinois dans l'espoir d'y ajouter une autre dimension à l'esthétique.
* En effet, le calendrier traditionnel chinois établi suit le rythme lunaire. Et malgré un comput savant qui permet de rapprocher les deux années (lunaire et solaire) sur une assez longue période dite luni-solaire, il est resté impropre à l'agriculture qui suit essentiellement le rythme solaire avec les saisons. Aussi les Chinois ont-ils conservé ces divisions solaires d'après le mouvement apparent du soleil sur l'écliptique qui correspondent évidemment aux mêmes dates grégoriennes des signes et demi-signes du zodiaque.
Photographies publiées avec l'autorisation de Huang Yung-chuan.